FILM : La terre outragée

, par  Marie-Odile NOVELLI , popularité : 0%

J’ai aimé LA TERRE OUTRAGEE de la metteure en scene M.Boganim, Film original, loin du documentaire, bien que prenant appui sur des faits réels (catastrophe de Tchernobyl) ; film émouvant dont le propos personnel met en lumière certains ressorts de l’âme humaine.

-

La terre Outragée

Film original, loin du documentaire bien que prenant appui sur des faits réels. Film émouvant dont le propos personnel met en lumière certains ressorts de l’âme humaine.
Il ne s’agit pas vraiment de dénoncer les horreurs de Tchernobyl, et sur ce plan l’inconscience relative de la population victime montre le chemin politique à parcourir.

La metteure en scène Michale Boganim s’attache à retracer la violence sociale et intime de la rupture qu’a constitué la catastrophe de Tchernobyl, notamment à travers trois personnages dont on suit - le jour même et dix ans plus tard- le destin.
Rupture, car tous ces êtres ont été arrachés brutalement à la terre d’ Ukraine dont on comprend en quelques images qu’elle constitue le substrat physique, visuel émotionnel et psychique, incarné notamment par le partage des chants, des danses et de la vodka, et de l’existence de belles certitudes : L’URSS fournissait le travail, le pain, et " l’électricité".


Le ton, ni révolté ni tragique,laisse pourtant filtrer une douleur d’autant plus sourde que les protagonistes ne comprennent pas aisément ce qui leur arrive.
Il y a d’abord l’incompréhension des populations, à qui rien n’est dit au moment où se déroule la catastrophe.

En parallèle, s’exprime la difficulté, pour les personnages, à comprendre un mal être psychique propre à l’après Tchernobyl.
Anya a perdu son mari le jour de l’accident, jour de son mariage. On pressent sa douleur, qu’elle n’exprime plus guère. Mais elle même ne sait pas pourquoi elle a éprouvé le besoin impératif de revenir au pays travailler comme guide de visite de la zone de Tchernobyl, et vit entre deux villes, deux hommes, deux vies. Elle oublie systématiquement son âge, elle ne parvient pas à rompre avec son passé, ni à quitter sa mère.
Le passé, voilà l’incomplétude, qui entrave toute marche en avant.
La nostalgie n’est pas ici le simple regret du passé, mais la faille qui ébranle l’identité profonde de l’être, l’attire comme un aimant vers son passé, le hante, menace son intégrité.

Ce mal être est double, voire triple : on comprend qu’il est dû en partie à l’écroulement du système soviétique jadis socialement sécurisant dont l’accident de la centrale constitue les prémices, un symbole.
Mais il renvoie aussi à des failles personnelles ; comme Valéry à la recherche de son père défaillant, devenu fou, hanté par ses propres fantômes.
Il est dû, enfin, au déracinement culturel, à l’arrachement à un lieu de vie en Ukraine, jadis source d’ identité , et devenu mort.

C’est le jeune Valery, le fils de l’ingénieur devenu fou - qui exprime le mieux la source du problème et sa solution : en fait, dit - il des années plus tard, en prenant la parole devant un groupe d’élèves de sa nouvelle classe, mes amis ont tous étés dispersés, la ville que j’ai connue, le passé, n’existent plus.
Analyser la souffrance de cette disparition lui permet de reconquérir son identité perdue, son intégrité personnelle. A l’inverse d’ Anya, de choisir un avenir, de renoncer à rechercher un passé mythique. On peut souligner aussi que le caractère public de son propos atteste l’enjeu de l’existence d’une identité collective, donnée par l’appartenance à un territoire, une culture, et la necessité de recréer d’une manière ou d’une autre ce vivre ensemble.
Si Valery semble réussir à dépasser toutes ces ruptures consécutives à l’accident de Tchernobyl il n’en va pas de même d’ Anya. Car à la souffrance liée à la perte de la culture et d’un territoire, et d’un régime politique et social disparu, elle rajoute la perte d’un être aimé. Et cet élément chez elle est majeur : dès l’annonce de la mort de son jeune époux, elle se rapproche fortement et instinctivement de sa mère ; faille préexistente ? Quoiqu’il en soit , on voit à l’oeuvre une difficulté d’identité, ou d’autonomie. Il lui faudra alors rechercher du côté des liens affectifs passés, de la terre natale, de la famille, des amis, des habitants, le vivre ensemble dont elle a besoin. Sauf que le passé n’existe plus.
Le message du film est universel, il souligne l’interaction de l’individuel et du collectif dans la construction de l’identité et il concerne aussi bien les difficultés liées à l’exil, à la disparition de pans de l’histoire collective d’un quartier avec les démolitions de barres d’immeubles, ou à l’évolution psychique personnelle qui amène à quitter le foyer de ses parents.
"La terre outragée", symbole des difficultés affectives et des ruptures d’identité qui peuvent menacer la construction de l’ëtre, viole l’intégrité de l’être humain.