L’introuvable démocratie

, par  Marie-Odile NOVELLI , popularité : 0%

" IRREFORMABLE", la France, ou bien trop peu démocratiquement gouvernée, peu sollicitée ?
Est - ce le sens de l’appel à "la primaire à gauche" ?
Après la sévère "semonce", pourtant déjà oubliée, des régionales, voilà qu’ à nouveau chaque proposition du gouvernement accentue les divisions de la société française : la déchéance de nationalité - quasi décrétée avant que ne soit pris le temps du débat et de la réfléxion - la constitutionalisation de l’ Etat d’urgence, la réforme de l’assurance retraite, les revendications des agriculteurs... A quelles conditions refaire intelligemment cohésion ? C’est dans ce contexte qu’a pris forme l’appel pour une primaire à gauche.

2016 débute avec son cortège de mauvaises nouvelles. Nous apprenons que la pollution de l’air tue plus de personnes que le SIDA, la malaria, le cancer du sein ou la tuberculose, et que l’entreprise Renault y contribue, puisqu’elle dépasse encore plus les normes de pollutions que Volksvagen dont la fraude a pourtant fait grand bruit. Alors que - Global Risks Report 2016 nous rapporte que la première peur des décideurs est que la lutte contre le réchauffement climatique échoue (suivi des migrations forcées et des crises économico-financières), OXFAM dans son rapport « Une économie au service des 1 % » (18 janvier dernier), note que les 1% les plus riches de la planète cumulent de plus en plus de richesses, 62 personnes (contre 388 il y a 5 ans) possèdant autant que la moitié la plus pauvre de la population mondiale ! Et rappelle que l’évasion fiscale des grandes firmes fait perdre chaque année aux Etats des milliards de dollars ou d’euros.

Ces crises économiques et écologiques ont plusieurs points communs : la faiblesse de l’analyse des causes sous-jacentes aux crise économiques, environnementales et sociales, et la faiblesse de la démocratie réelle, liée à celle de la justice sociale.
Elections après élections le taux d’abstentionnistes s’accroit. Les actions politiques semblent inefficaces ou inexistantes face aux désajustements économiques, financiers, environnementaux planétaires.
Mais pour qui sont elles vraiment inefficaces ?
Comme le notent les préfaciers du livre d’H.Balazard (Agir en démocratie, éd. de l’ Atelier), la démocratie repose « sur le principe d’égalité des droits de tous les individus ». Or cette égalité n’existe pas. Les élites économiques « influent plus facilement sur les décisions publiques » que les autres citoyens. Avoir un capital économique et social donne un capital politique. Ces mécanismes sont renforcés, légitimés par l’idéologie néo-libérale.Il faut donc redonner du pouvoir d’agir (empowerment) symbolique, économique et politique au plus grand nombre, particulièrement les citoyens éloignés des diverses formes de capital.
 C’était, dans le rapport Bacqué - Mechmache, l’enjeu de la réforme de la Politique de la Ville(*).
L’avenir n’est certes pas radieux, mais il devient plus clair : car nous commençons à regarder la réalité en face, à comprendre nos problèmes. C’est le premier pas avant l’action.

Le choix, par les collectivités, d’un développement écologique peut nous aider à construire des réponses, car il met au centre de ses préoccupations qualité de vie et santé, équité et solidarité sociale, responsabilité de l’environnement, efficacité de l’économie et de la gestion, engagement et participation citoyenne. Il analyse dans l’idéal les effets de chaque euro dépensé sur l’environnement, le développement local durable, la relocalisation d’activités, la cohésion sociale et la démocratie. Mais les politiques menées par les collectivités sont rarement aussi ambitieuses. J’ai tenté cependant de donner, dans le dernier numéro d’Actualités Vertes ( et sur ce site // http://www.vertsregion.org/spip.php?article1387) un aperçu d’actions concrètes que j’ai menées au Conseil régional R. Alpes, susceptibles d’améliorer la qualité de vie des habitants, leur facture énergétique, l’emploi, de réduire pollutions et émissions de gaz à effet de serre et d’améliorer l’engagement démocratique des citoyens écologiques (même si j’aurais souhaité pouvoir faire d’avantage).

Il s’agit, cependant, de réponses locales. Nous nous heurtons nationalement à des processus de décisions aujourd’hui devenus destructeurs.

De la déchéance de nationalité à la réforme de l’assurance retraite, en passant par les revendications des agriculteurs, toute proposition du gouvernement semble accentuer les divisions de la société française.
Mais le problème n’est - il pas induit par les propositions incessantes de l’exécutif gouvernemental lui-même, avec pour gouvernail apparent la seule opinion publique, sommée de répondre par sondage à des sujets mal posés ? Comme si nous avions demandé à un gouvernement de décider tout seul en peu de temps de tous les sujets*… La dérive du régime Présidentiel (à tous les niveaux, collectivités et Etat) n’a jamais été si visible, et si contre-productive, dans un monde soumis aux nouvelles féodalités financières mondiales . Il faut du temps, et du travail, et de la collaboration pour être intelligent !

Les citoyens ont renoncé à comprendre la complexité - comprendre ce qui est complexe nécessite il est vrai un effort - et il faut bien dire que les responsables politiques ont semblé trouver cela commode ! Prenons l’exemple des résultats des élections des élections régionales en Rhône-Alpes transformées peu ou prou en réferendum national : Le candidat Wauquiez a pu faire campagne sur des sujets qui n’avaient rien de régionaux, en toute tranquillité. Car les citoyens ne connaissaient toujours pas les responsabilités régionales. Ils ont délégué leur pouvoir de pilotage découlant de démocratie représentative- à l’Oligarchie politique, qu’ils rejettent aujourd’hui. Il faut ajouter que cette Oligarchie n’a rien fait ou presque pour faire de l’éducation citoyenne… En R. Alpes, l’information officielle de l’institution Conseil Régional semblait plus désireuse de communiquer sur une région de qualité, où il faisait bon se promener, bien manger, voir des spectacles et faire du sport, bref, sur une région loisir, que sur les engagements pourtant très réels des élus pour améliorer au quotidien la situation des rhônalpins. En 2008 La Région aborait fièrement son slogan "La Citoyenne", en 2011, subrepticement, cet étendard avait disparu sans débat. Classiquement, par ailleurs, la hiérarchie interne administrative et de cabinet, laisse peu de place aux rencontres fortuites, en « prise directe » et sans fard, avec la réalité… Plus l’on monte dans la hiérarchie d’élus -qui -n’ont- pas- le- temps, plus le phénomène (sauf exception rare) s’amplifie.
L’autre exemple actuel est la constitutionnalisation de l’ Etat d’urgence la déchéance de nationalité - "décrétée" avant que ne soit pris le temps du débat et de la réfléxion et avant débat parlementaire-. Les sondages donnent les citoyens d’accord . Merveilleux ! Sauf que l’article 25 du Code Civile permet déjà de déchoir de la Nationalité Francaise ! (**)
Qui, jouissant d’une parole forte, "autorisée", en a informé les citoyens ? Les media se sont "rattrapés aux branches" un peu tard, heureusement cependant qu’ils étaient là, mais le mal est fait.


Cette incapacité à organiser la démocratie, à écouter les formes d’innovations du « terrain », et à s’effacer pour leur laisser vraiment une chance d’éclore, à promouvoir plutôt la coopération que la décision "top down" décrédibilisent l’action politique. Tous les partis politiques se laissent prendre à cette captation du processus de décision par une oligarchie, un mauvais jeu politicien en quelque sorte « gravé dans le marbre » par nos institutions présidentielles, majoritaires etc….Aujourd’hui, par exemple on ne pourrait probablement pas adopter la loi de 1905 sur la laïcité, car il n’est plus vraiment possible que le législatif impose une loi à un exécutif qui n’en veut pas, comme ce fut le cas à l’époque. C’est pourquoi je pense sincèrement aujourd’hui que notre avenir politique n’est pas essentiellement dans les partis. Ce que les partis ne peuvent plus réaliser, c’est à la société de le faire. De travailler sur des sujets complexes. Ce n’est pas l’information qui fait défaut.(***)

C’est dans ce contexte qu’a pris forme l’appel pour une primaire à gauche.
Pour que les candidats de gauche ne se concurrencent pas. Pour que l’assise électorale et militante soit plus représentative, dépasse celle les partis réduits à portion congrue. Pour que le débat ait un peu lieu . 
Les éditorialistes se trompent, lorsqu’ils disent que la primaire à gauche, c’est exclusivement « tous contre Hollande ». La primaire à gauche, c’est surtout "Tout pour essayer de déverrouiller" notre système, nos institutions qui nous étouffent, tout pour avoir de l’air, pour ouvrir l’horizon barricadé. Je suis d’accord pour des primaires à gauche : mais c’est une tentative par défaut. Ce qu’il nous faut, c’est la construction de vrais programmes, communs, issus de "vrais " débats larges et émanants de la base... Une utopie en France ! Elire un candidat ne permet pas cela. Mais avoir le choix entre plusieurs candidats au lieu d’un seul introduit un peu de débat dans un jeu qui semble fait d’avance, fossilisé. C’est un sursaut contre le masochisme. 
Ouvrir une porte, pour demain, si ce n’est pour aujourd’hui... Amorçons le mouvement !

Si nous voulons revivifier la démocratie, donnons une vraie place aux conférences de citoyens, aux jurys (tirés au sort) à qui l’on permet de s’approprier une question, en écoutant différents points de vue d’experts(**) , d’usagers , avant de trancher. Cette démarche aurait l’avantage de sortir la décision du catéchisme des partis .
 Faisons nôtre cette maxime attribuée à Sénèque : « Ce n’est pas parce que c’est difficile que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas que c’est difficile " .

MO.N


(*) Rapport bacqué mechmache pdf pour une reforme radicale de la politique de la Ville
Sur le développement du Pouvoir d’agir, (empowerment) voir aussi sur ce site http://www.vertsregion.org/spip.php?article1394


(**) ART. 25 du Code Civil (Modifié par Loi n°98-170 du 16 mars 1998 - art. 23 JORF 17 mars 1998 en vigueur le 1er septembre 1998)

L’individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d’Etat, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride :
1° S’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ;
2° S’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit prévu et réprimé par le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal ;
3° S’il est condamné pour s’être soustrait aux obligations résultant pour lui du code du service national ;
4° S’il s’est livré au profit d’un Etat étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France.

Compléments : art. 23 du CC


(***) Quelques exemples, mais il y en a beaucoup d’autres ! :
Le conseil d’analyse économique CAE ** met à disposition des notes intéressantes régulières. De multiples rapports dorment dans les tiroirs des ministères. Des experts nombreux et variés (dont on aurait soin de vérifier qu’ils ne sont pas en « conflit d’intérêt ») existent et sont insuffisamment utilisés.


ex cae-note027 sur l’agriculture, résumé, extrait

Préserver le capital naturel doit devenir un axe central de la politique agricole : c’est tant un enjeu environnemental qu’une condition de la réussite économique future de l’agriculture elle-même. Pour cela, il faut s’orienter davantage vers une rémunération des aménités plutôt que des aides indifférenciées aux objectifs incertains.Les régle- mentations, actuellement plus contraignantes qu’efficaces, doivent davantage cibler les résultats. Pour créer les conditions d’une agriculture innovante, il convient de ne pas laisser une innovation biologique prometteuse ni des don- nées spatialisées, qui deviennent stratégiques, à quelques grandes entreprises internationales ; mais aider la recherche publique à orienter cette innovation pour qu’elle soit plus en phase avec les régulations biologiques. En parallèle, la formation continue des agriculteurs doit être renforcée en mobilisant les lycées agricoles, l’enseignement supérieur et les outils numériques. Pour sa stratégie à l’exportation, l’agriculture française devrait principalement s’appuyer sur un petit nombre de labels valorisant le contrôle sanitaire, la traçabilité intégrale, l’absence d’antibiotiques, de promo- teurs de croissance, ou le respect de l’environnement ou du bien-être animal. Enfin, face aux aléas des marchés, le lis- sage fiscal sur plusieurs années, voire le report d’emprunts et de charges sociales sont, comme l’accès à des outils de couverture, davantage à promouvoir pour stabiliser l’envi- ronnement économique des producteurs que des prix admi- nistrés ou des aides contracycliques. Au niveau communau- taire, des aides contractuelles et non transférables ciblant les biens publics ou avec des objectifs sociaux devraient se substituer aux aides fondées sur les surfaces. Compé- titivité, environnement et revenus ne sont pas nécessai- rement incompatibles dans l’agriculture. Mais pour parve- nir à les réconcilier, une réorientation importante des poli- tiques sera nécessaire.

La réforme de l’assurance chômage (présentée comme déficitaire) met sur le devant de la scène la mesure phare dégressivité des indemnités chômage,
Cette présentation partielle omet de dire qu’il n’y a pas de Dette structurelle de l’unedic, mais que l’unedic finance autre chose que le chômage, et qu’il n’y a que 42% des chômeurs qui sont indemnisés, ce qui est peu. Etant donné que salariés et paronat peine tolus cher leur assurance chômage que ds les pays voisins, le système devrait être meilleur. Par ailleur si si vous travaillez un jour sur deux vs êtes plus indemnisés que si vs travaillez à mi temps (pierre Cahuc note CAE) .


Note CAE n 24
Les embauches sur des contrats de durées de courte durées (moins d’un mois) ont fortement augmenté depuis le début des années 2000.
La France se distingue aussi de ses partenaires européens par l’importance des contrats courts parmi les CDD : selon l’OCDE, en 2011, 35 % des salariés en CDD en France avaient des contrats de moins de trois mois, contre 19 % en Italie, 13 % au Danemark et 4 % en Allemagne8. Plusieurs facteurs sont sus- ceptibles d’expliquer cette évolution : changements tech- nologiques, tertiarisation de l’économie, coût du travail incitant les entreprises à employer de la main d’œuvre peu qualifiée sur des plages horaires les plus courtes pos- sibles. Néanmoins, cette évolution n’est pas universelle : aux États-Unis, les tendances sont inverses, avec un recul des emplois de moins d’un trimestre.
Pour comprendre le phénomène en France, il est essentiel de noter que les contrats courts sont très fréquemment des réembauches chez un ancien employeur : c’est le cas de plus de 70 % des embauches en CDD en 2011. Ainsi, les salariés sur des emplois courts sont généralement dans des situations d’alternance entre brèves périodes d’emploi et de chômage. Ils sont majoritairement inscrits à Pôle emploi, souvent dans le cadre du dispositif d’activité réduite qui permet de cumuler revenu d’activité et allocation chômage.
Deux caractéristiques de l’assurance chômage favorisent le développement des emplois instables. Premièrement, la possibilité de cumuler allocation chômage et salaire sans limite de durée dans le cas, par exemple, où l’on tra- vaille une semaine sur deux et où l’on gagne un revenu proche de celui que l’on obtiendrait en travaillant toutes les semaines. Deuxièmement, les entreprises ne sont pas incitées à prendre en compte le coût qu’elles font peser sur les comptes de l’assurance chômage lorsqu’elles ont fréquemment recours aux contrats très cour

Cette situation, coûteuse pour l’assurance chômage, alimente la dualisation du marché du travail et induit d’im- portants transferts, financés par les entreprises dont les emplois sont stables, au bénéfice d’entreprises fortement utilisatrices d’emplois de très courte durée.
Pour contrecarrer cette tendance, nous préconisons de modifier les règles de calcul de l’allocation chômage afin qu’il ne soit plus possible de pouvoir indéfiniment travailler la moitié du temps en enchaînant des contrats courts tout en gagnant un revenu proche d’un temps plein. Ce prin- cipe devrait s’appliquer à tous les secteurs d’activité : le rôle de l’assurance chômage n’est pas de subventionner certains métiers ou secteurs dont les emplois sont ins- tables. Si des règles spécifiques sont maintenues, des contributions spécifiques devraient être introduites pour financer leur surcoût.
Nous recommandons aussi de moduler les cotisations à l’assurance chômage de chaque entreprise, non selon le type de contrat de travail comme l’a instauré la loi du 14 juin 2013 sur la sécurisation de l’emploi, avec des exemptions pour la majorité des contrats courts, mais selon le coût induit pour l’assurance chômage. La mise en place d’un système cohérent requiert en effet une logique de bonus-malus, où le taux de cotisation de chaque entreprise est déterminé en fonction du solde de ses cotisations et des dépenses d’indemnisation de ses ex-salariés au chô- mage, quel que soit le type de contrat sur lequel ils sont embauchés.

* exemple : six recommandations concernant la protection sociale : 

Une réforme ambitieuse à moyen-long terme
• Recommandation 1. Unifier la gouvernance des régimes de retraites obligatoires. Harmoniser progressivement les règles définissant l’accumulation des droits tout en maintenant le cas échéant des paramétrages différents selon les régimes.
• Recommandation 2. Unifier la couverture du risque santé (actuellement Sécurité sociale et complémentaires) pour ce qui concerne les soins du panier solidaire et recentrer les assurances facultatives sur la couverture des soins hors de ce panier.
• Recommandation 3. Refondre l’architecture de la protection sociale avec un pôle non contributif (famille, maladie, lutte contre la pauvreté) intégré dans le budget de l’État et financé par l’impôt, et un pôle contributif (retraites, assurance chômage, indemnités journalières) financé par des cotisations sociales.
Des mesures à plus court terme pour améliorer le pilotage des dépenses
• Recommandation 4. Réduire la dépendance à la croissance de l’équilibre de long terme du système de retraites en revenant à une indexation-salaire des rémunérations constituant le salaire de référence des pensions et en modulant le taux de remplacement par un coefficient démographique.
• Recommandation 5. Instaurer une couverture publique à 100 % des restes à charge au-delà d’un certain plafond, pour la dépense reconnue. Garantir l’accès à une offre de soins à tarifs opposables sur tout le territoire.
Favoriser les arbitrages démocratiques
• Recommandation 6. Présenter chaque année, lors des débats budgétaires, une annexe retraçant une décomposition de l’ensemble des dépenses publiques par fonction et par risque social couvert.
Cette note a été présentée au cabinet du Premier ministre le 15 décembre 2015.