Quartiers en difficultés (2006)

, par  Marie-Odile NOVELLI , popularité : 0%

VIOLENCES URBAINES : CONTRIBUTION AU DEBAT * de MO Novelli texte paru ds alternatives économiques

VIOLENCES URBAINES : CONTRIBUTION AU DEBAT *

(article paru en partie dans le courrier des lecteurs de Alternatives Economiques de Décembre 05).

La révolte délinquante d’une partie des jeunes des banlieues françaises est évidemment condamnable. Elle est tout aussi nuisible pour leurs proches, pour leurs voisins que pour eux-mêmes. Nous devons cependant chercher à comprendre, sans excuser. Cette crise est avant tout sociale et ne peut être analysée comme une simple conséquence des révoltes individuelles de l’adolescence.

Dans une situation générale d’injustice, il a suffit d’une étincelle : une violence verbale -les propos injurieux de N. Sarkozy- ajoutée à la mort non élucidée de deux jeunes, pour mettre le feu dans les cités. . .
Pendant plus d’une semaine le gouvernement a été muet. Puis soudain, il a eu recours à l’état d’urgence. Ce faisant, il estimait rétablir l’ordre social. Mais Il ne rétablissait pas la cohésion sociale, désignant ainsi à la majorité des français comme bouc-émissaire une partie de la France elle-meme.

Peut-on dire que les violences résultent de l’action du gouvernement ?
Pendant trois ans, le gouvernement a surtout apporte aux problèmes sociaux des réponses d’ordre pénal ou spatial. Il a réorienté la politique de la ville autour de la répression et les démolitions-reconstructions. Il a drastiquement réduit ou abandonné le rattrapage social ou éducatif, la prévention, la police de proximité, les Fonds du FASILD (pour l’intégration), les emplois jeunes... bref tout ce qui contribue à l’insertion professionnelle et au lien social. Un certain nombre de ces suppressions ont des conséquences directes sur les jeunes, d’autres ont sur eux des effets indirects, agissant sur leur entourage, le tout créant le sentiment général qu’il n’y a pas d’avenir.
Le durcissement des réponses pénales n’est pas sans rappeler la période qui a précédé la révolution française, lorsque la monarchie offrait des réponses secrétaires à courte vue aux problèmes sociaux essentiels de la societé*.
Même si l’on ne peut pas effectuer de parallèle historique, cette similitude souligne à mon sens la nécessité d’un changement en profondeur de la société française. Ce changement doit être social, éducatif, et institutionnel.

Les problèmes sont le fruit d’une évolution de fond de la societé.
Pendant "les 30 glorieuses", après guerre, il y avait un équilibre entre l’économique et le social. C’était l’époque du plein emploi, du logement pour tous et "des lendemains toujours meilleurs", du moins le croyait-on, ce qui aidait à vivre. Le travail ne servait pas qu’à procurer un revenu décent, il jouait le rôle essentiel d’intégration, y compris par le biais des luttes syndicales.
A partir des années 80, cet équilibre s’est rompu. Malgré la croissance, la solidarité a failli. La France n’a pas su la réajuster, à l’inverse de quelques (rares) pays du Nord de l’ Europe. Le néo-libéralisme s’est développé avec son cortège de conséquences : aujourd’hui plus de 25% des jeunes de moins de 25 ans sont au chômage, parfois plus de 40% de chômeurs dans certains quartiers. Il y a 3 millions de mal logés et les plus pauvres n’ont pas d’espoir de quitter leur quartier, devenu ghettos. "Les pauvres sont de plus en plus pauvres", comme l’atteste le rapport annuel du secours catholique. Les inégalités scolaires et sociales augmentent. Cette situation générale d’injustice constitue une dernière forme de violence sociale, la plus insidieuse.

Ces chiffres recouvrent une réalité humaine dont il faut prendre la mesure et la gravité : c’est que, lorsque vous êtes un adolescent, il vous faut une volonté énorme pour vous construire alors qu’autour de vous un grand nombre d’adultes de votre entourage est au chômage, que vous habitez dans un endroit où personne ne veut vivre, qu’on vous demande vos papiers d’identité au pied de votre immeuble, que votre façon de vous habiller ou votre couleur de peau inspire la méfiance, que réussir votre vie s’évalue aux signes extérieurs de richesse, que votre perspective la plus simple pour gagner de l’argent n’est pas de travailler mais de participer à l’économie souterraine...

Certains parviennent à surmonter ces obstacles. La plupart est gagnée par le désespoir ou la haine.

La haine, le ressentiment, le rejet, à l’image de ce que l’on entend dans certains partis politiques extrémistes, ou de celle qui est à l’oeuvre dans le refus d’un C.V. face à un nom à consonance étrangère... A l’image, encore, de la décision du ministre d’expulser les jeunes impliqués dans ces émeutes. (l’expulsion collective d’étrangers étant d’ailleurs contraire au droit international). Qu’elle s’exprime dans les discours politiques ou dans les brimades de la vie quotidienne, cette haine ou ce rejet sont criminels contre la cohésion sociale. C’est une forme de guerre des français contre les francais.

Heureusement, il y a une autre posture : celle de la construction, de l’espoir, celle qui considère que ces jeunes sont d’abord à éduquer avec exigence, et générosité. Ils sont la société de demain.

Dans cet esprit, voici cinq axes de propositions :

1er axe, celui des sanctions : assurer la justice, réduire l’arbitraire
Les sénateurs Verts demandent la mise en place d’une enquête parlementaire sur les violences. J’y suis aussi favorable. Les violences des jeunes comme des policiers doivent être traitées en toute justice. Le recours à l’état d’urgence et à la loi de 1955, quant à lui, procède d’une théâtralisation militaire, alors que nous ne sommes pas dans une situation de guerre, mais de crise sociale profonde. Le risque est que la procédure du couvre-feu occulte les problèmes de fond. Même en 1968, De Gaulle n’y avait pas eu recours... Par contre, l’intervention policière doit être renforcée, mais aussi complétée par la présence, dans la rue, de médiateurs. La où les médiateurs ont noué un dialogue réel, comme dans certains quartiers de la banlieue grenobloise et à Clichy, et maintiennent leur présence, les violences ont cessées.
Quant aux 100 millions accordés par le gouvernement aux associations de terrain, c’est certes positif... sauf que dans le même temps, 310 millions d’euros pour le développement social urbain ont été supprimés au budget 2006.

2eme axe : - Assurer la satisfaction des besoins élémentaires
Pour que ces jeunes en difficulté puissent se construire comme des adultes responsables, il faut qu’ils puissent accéder aux conditions matérielles minimales de l’autonomie : un travail et un logement.
Ce sont des priorités de la Région Rhône-Alpes, qui a mis en place un plan pour l’emploi, et une politique foncière et de l’habitat, pour aider les communes, agglomérations et départements volontaires à faire du logement social. Mais le problème est loin d’être résolu. Les communes sont loin de remplir toutes leurs obligations en matière de logement social, et l’ Etat, qui applique les décisions du gouvernement, est particulièrement timoré sur ces questions. Il faut que le droit au logement devienne un vrai droit, opposable. Il en va de même pour le droit au travail, (ou à défaut, le droit à un revenu décent et à une activité sociale).

3ieme axe : Donner sa chance à chacun, développer les potentialités
Pour atteindre cet objectif, il faut continuer et accentuer la lutte contre toutes les discriminations, et développer l’éducation par le système scolaire, mais aussi l’éducation populaire, l’éducation tout au long de la vie (en ce sens le rabaissement de l’âge de l’apprentissage à 14 ans est une mauvaise solution), et la lutte contre le décrochage scolaire....
Il faut résolument sortir d’une logique de sélection-exclusion, et décider de mettre l’accent sur les potentialités des jeunes. C’est d’ une vraie révolution éducative dont nous avons besoin, encouragée par l’Etat.
La lutte contre l’échec scolaire doit être menée conjointement par l’Etat et les régions. Elle est devenue un axe de la politique de la ville du Conseil Régional Rhône-Alpes. Il faudrait aussi que les Régions, en partenariat avec l’Education Nationale, décident comme en Ile-de-France de la réalisation d’un "lycée de la nouvelle chance" pour les jeunes décrocheurs dans chaque département.

.4ieme axe : renforcer la citoyenneté, notamment en s’appuyant sur les réseaux de solidarité.

Il y a dans les quartiers des liens de solidarité (entre jeunes, entre communautés, entre parents, entre femmes, entre voisins...) et des lieux de solidarité (centres sociaux, MJC...). Il faut renforcer ces liens et inviter les acteurs à prendre part à la vie publique, aux conseils de quartiers, aux conseils de développement.

Il s’agit de favoriser, sans les opposer, le passage d’une intégration communautaire à une participation citoyenne. Certains Conseil Régionaux, certaines communes, soutiennent des initiatives citoyennes dans le cadre de la politique de la ville. Mais ces démarches restent rares.

Au plan législatif, il faut donner le droit de vote aux résidents étrangers, dans le cadre plus vaste d’une reforme institutionnelle. Notre système politique, en effet, est inapte à représenter toutes les composantes de la société française. Ce faisant, il est inapte à poser les problèmes de société, donc à les résoudre.


5ieme et dernier axe : Evoluer d’une société productiviste vers une société encourageant d’autres valeurs conviviales et humanistes.

Les jeunes des cités veulent, tout comme les autres, consommer davantage , et atteindre le niveau de vie des catégories supérieures.
Notre société fonctionne à l’exclusion, à la compétition, et valorise l’argent. Mais, c’est l’illusion fondamentale de l’ultra-libéralisme, que de croire que les relations humaines ne peuvent être fondées que sur des rapports de concurrence.
Il nous faut reconnaître et promouvoir des modes de vie qui bénéficient à tous, en privilégiant notamment à la fois l’épanouissement personnel, le bien vivre ensemble et l’engagement collectif.

Il ne faudrait pas penser a priori que les jeunes, même ceux des quartiers difficiles, ne peuvent pas être intéressés par le sens, par des valeurs supérieures. Il faut les mobiliser sur des actions enrichissantes.
La citoyenneté et la solidarité avec le monde, la planète, en font partie.

*Marie Odile NOVELLI
Vice Présidente du Conseil Régional Rhône Alpes, chargée de la politique de la Ville, du logement-foncier, et des solidarités. Membre des Verts.
Formatrice en politiques sociales

** voir "le procès de la justice" - PLON 03- de J F Bourgelin et P. Lombard