Réformes : Quel avenir pour les régions ?

, par  Marie-Odile NOVELLI , popularité : 0%

Entre réformes gouvernementales et réformes européennes (tels que les SIG, Services d’Interet Général), quel avenir reste-t- il aux Régions ?

Entre réformes gouvernementales et reformes européennes,
quel avenir reste-t- il aux Régions ?

En fait, posée comme cela, la question laisse entendre que les régions seraient autant coincées par les décisions communautaires et le droit européen que par les decisions gouvernementales.
En réalité, tel n’est pas mon propos. Mais de fait les régions se trouvent prise en tenaille entre des injonctions parfois contradictoires, les initiatives régionales potentielles ne sont pas forcément pénalisées par les décisions européennes, mais elles sont par contre entravéees par les décisions du gouvernement français et l’émancipation que demande l’ Europe est souvent battue en brèche par nos décisions nationales.

Un mot, donc, du contexte :

Tout d’abord, les finances : la communication du gouvernement, ces derniers jours, laisse entendre à l’envi que les collectivités et notamment les régions seraient (co)responsables des déficits et dépenses de l’ Etat. C’est faux , mais cependant les régions n’ont guère réagi collectivement jusqu’ici (ARF notamment).

Ensuite, les politiques régionales sont impactées par
le projet de réforme territoriale, voulu par le même gouvernement.
Quelles en sont les limites, les délais , les propositions soutenables ou politiquement scandaleuses ?
Là encore, ne pas mener le débat ne fait pas notre affaire et surtout pas l’affaire de nos concitoyens.

Enfin, même si on n’évoque guère cette question. les politiques régionales sont aussi impactées par le droit communautaire, et notamment l’évolution juridique européenne sur les services d’interet général ( SIG) . Le gouvernement français vient justement de légiférer sur une partie de ce sujet : la loi sur les Sociétés publiques locales (voir infra) vient d’être adoptée à l’unanimité. (Localtis info 20 Mai 2010).
Quelles conséquences ?

Ces questions ne peuvent pas trouver de réponse rapide et simples, bien sûr, mais nous ne pouvons pas ne pas nous les poser.

I. La communication gouvernementale laisse entendre que les collectivités seraient responsables des dépenses de l’ Etat.


On peut lire dans la presse qu’ "au cours de la seconde conférence des déficits qui s’est déroulée à l’Elysée, le chef de l’Etat a confirmé l’objectif de réduire sur trois ans les dépenses de l’Etat afin de ramener le déficit public sous la barre de 3% du PIB. Les collectivités devront elles aussi réaliser un effort similaire à celui de l’Etat". (lu par ex dans "developpementdurablelejournal" cliquer ).

On n’est pas loin de la désinformation organisée.
C’est l’ Etat qui est en déficit. Et comme la fiscalité régionale ne représente que 2% de l’ensemble de la fiscalité nationale, les régions ne peuvent guère peser sur le déséquilibre de la France ou sur le pouvoir d’achat des ménages !
Par contre, elles contribuent à l’emploi gràce aux investissements à vocation d’interet géneral, qui sont leurs dépenses dominantes ( Lycées , mais aussi de plus petites dépenses comme le logement, etc).

Veut -on que les régions , qui tirent l’emploi gràce à l’investissement, contribuent désormais à la récession et au chômage ?

Ne le cachons pas, la suppression de l’autonomie fiscale des régions aura des conséquences : sans la taxe professionnelle et sans la taxe sur la bâti qui devrait disparaître en 2011, les régions auront 8% d’autonomie financière contre plus de 20% avant.
C’est un peu comme si le gouvernement voulait pousser les régions à emprunter davantage pour continuer à mener les politiques indispensables ; car aujourd’hui, le maintien des politiques actuelles n’est plus naturellement assuré.
Les frais de fonctionnement augmentent*, ainsi que les charges obligatoires des régions (formation, rames des TER etc), mais les ressources diminuent.

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(*à effectif constant, les salaires des fonctionnaires territoriaux augmentent : les régions ont eu brutalement un nombre important de nouveaux fonctionnaires avec les personnels de service des lycées).

II. Clauses de compétences générales et réforme territoriale :


Voilà encore une réforme qui au final semble quand même faire fi de l’intelligence démocratique collective, des recherches, de l’expérience de nos voisins européens, au profit dans un "geste" recentralisateur ou autocrate .

Difficile de résumer ici le contenu de cette réforme (qui a déjà fait l’objet d’un certain nombre d’articles sur ce site). Mais il est sûr qu’il impactera un certain nombre de politiques régionales, au premier titre desquelles, me semble- t -il, les subventions aux associations déjà mises en difficulté par le recul des subventions d’Etat et des Conseils géneraux.

L’esprit général de la future loi est que dès lors que la loi aura attribué une compétence exclusive à une collectivité, cette compétence ne pourra être exercée par une autre collectivité ; même si "à titre exceptionnel, l’exercice d’une compétence peut être partagé entre plusieurs collectivités territoriales", précise le projet.

Quelles sont les conditions de ces exceptions ?
" la pratique des financements croisés entre les collectivités territoriales" devra " être limitée aux projets dont l’envergure le justifie ou répondre à des motifs de solidarité ou d’aménagement du territoire ; le maître d’ouvrage doit assurer une part significative du financement."
Sur le fond, que prime un aménagement équilibré du territoire et un souci de justice sociale, de cohésion et de redistribution, me va tout à fait.
Mais la question n’est pas seulement : tout peut -il ou doit- il relever de l’aménagement du territoire et des solidarités ?" mais aussi : "ce projet est il d’envergure"suffisante ?"

et là, on risque d’avoir un problème avec le soutien aux petits projets inventifs de lien social que plus personne ne pourrait prendre en compte...

A moins de tout intégrer dans des politiques de réduction des inégalités territoriales, ce qui est un vaste sujet car les politiques de zonages sont rarement suffisamment actualisées et pertinentes ( périmètres trop rigides).

La 1ère conséquence me semble être est qu’Il nous faut d’urgence donner des marges d’action à la société civile pour qu’elle organise la solidarité sociale ( par ex par le developpement des monnaies locales complémentaires).
Mais il me semble aussi qu’il nous faut aussi travailler en commun avec les autres collectivités et institutions "responsables" afin d’éviter ensemble que des pans entiers de la cohésion ne s’effritent.

III. Droit communautaire et SIG (service d’interet général)

Le droit européen ne fait pas la distinction entre entreprise et association.
Ce qui fait la difference, si j’ai bien compris, c’est ce qui relève ou non de l’interet géneral.
Encore faut il avoir précisé ce que l’intéret géneral recouvre.
C’est le rôle de l’ Etat, qui n’est pas en avance sur cette question. Mais nous, Région, en sommes nous pour autant dispensés ? Pas sûr.

1. Les SIG européens ( services d’intéret géneral) regroupent les SIEG (Services d’interet économique géneral , exemple : fourniture d’Energie, qui sont dotés en general d’une directive sectorielle) et les services non économiques d’interet géneral.

2. Parmi les services non économiques d’interet géneral figurent les SSIG (services sociaux d’interet géneral ) qui échappent aux règles de la concurrence, et peuvent recevoir des subventions, à condition d’être "obligés " d’accomplir une mission d’interet géneral par un pouvoir compétent. (cf comme disent les spécialistes " paquet Monti Kroes").
Il faut dans ce cas , ai- je lu, un acte formalisé de mandatement avec des critères transparents tels que calculs de compensation et remboursement...
Cela concerne a priori aussi la région ? A vérifier ! Car jusqu’ici, l’ Etat ne nous transmis aucune donnée. les députés ou ministres n’ont pas non plus légiféré. Mais il y un risque : celui que, faute de clarification ou de transposition notamment par l’administration nationale, l’interprétation juridique par les collectivités soit timorée et du coup peu sociale ou, à l’inverse (mais le cas est sans doute plus rare) imprudente.
C’est pourquoi, à mon avis de non spécialiste, la lettre du président des départements à ses homologues revet un interet pratique. (*annexe 2)

-3. Concernant les services économiques d’intéret géneral, le gouvernement vient de légiférer : la loi sur les Sociétés publiques locales a été adoptée à l’unanimité. / (Localtis info 20 Mai 2010.)
cliquer

Les collectivités territoriales pourront se regrouper pour détenir 100% du capital de la SPL (en gros "les ex SEM" qui deviennent 100% publiques exemple la SPLA Confluence à Lyon) chargée de réaliser pour elles toute activité d’intérêt général, sans être contraint de procéder à une mise en concurrence .
C’est un gros changement !
voir cliquer et le detail plus loin.

Quelques précisions, remarques et interrogations personnelles sur cette loi :

- 1.Il s’agit bien d’opportunités ouvertes par les règles communautaires européennes
(Selon le rapport Senat du 3 Février 2010 :
"L’objet de la proposition de loi, (adoptée par le Sénat le 4 juin dernier), est précisément de tirer le meilleur parti des évolutions récentes des règles communautaires auxquelles le législateur doit se conformer, en adaptant et en diversifiant les instruments juridiques dont disposent les collectivités pour leurs interventions économiques. En effet, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a progressivement élaboré, depuis une dizaine d’années, une jurisprudence qui autorise les collectivités et leurs groupements à déroger aux obligations concurrentielles applicables aux marchés publics lorsqu’elles confient certaines activités à des sociétés qu’elles détiennent et contrôlent étroitement.")

-2. Les questions de gouvernance sont elles résolues avec ce nouveau cadre 100% public ? (remarque issue de l’expérience " système Carignon" ).
Reste pour les acteurs publics une obligation morale d’efficacité et de transparence du pilotage .

-3. Ce type de structure devrait permettre de réaliser des économies (voir le texte du projet de loi qui précise en quoi.
A titre d’exemple, le surcout induit par la mise en concurrence systématique des entreprises pour le logement social est évalué à 15% -minimum !- selon les bailleurs . Pourquoi ? Essentiellement parce que le travail en amont avec les entreprises permet un ajustement, limite les frais de dossiers et fait gagner du temps etc.

4. La loi semble créer un problème dans le logement social : opérateurs HLM et SPLA ( sociétés publiques locales d’aménagement) n’auraient apparemment pas les mêmes droits (soit accès aux aides PLUS/ PLAI soit exemption de concurrence mais pas les deux . Question consécutive : on peut sans doute avoir une société publique locale d’aménagement comme un bras armé opérationnel les bailleurs ? )

Pour conclure provisoirement :
On le voit, la transposition plus ou moins réussie, concertée et rapide, par l’ Etat, des règles européennes a des conséquences sur nos procédures en matières de politiques sociales. Il faut donc les suivre de près.
En France, contrairement à d’autres pays européens, sur ce plan, l’ Etat joue encore le rôle central ; tandis que les régions ont un pouvoir juridique, fiscal et par conséquent politique faible.
Le contexte actuel, caractérisé par une diminution de l’autonomie fiscale des régions, ne plaide pas pour un renforcement de la parole politique des régions sur le plan nationale ou européen.
Pourtant elles auraient tort de ne pas affirmer leur vision politique , et de se detourner des questions de société, qu’elles soient nationales ou européennes.. . Il me semble que les régions ont au contraire à intégrer rapidement l’environnement social et juridique mouvant qui est le leur sans pour autant renoncer à leurs objectifs, ni aux valeurs qu’elles défendent.
La région Rhône Alpes particulièrement doit à mon sens jouer pleinement son rôle de coordinatrice du travail en commun, qui est souvent la particularité positive de ce territoire rhonalpin, territoire qui sait mettre en commun ses capacités d’action au bénéfice du bien commun lorsque la situation l’exige.

M.-O. Novelli

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Annexe

Sociétés publiques locales : la loi est adoptée à l’unanimité

publié le 20 mai 2010 (localtis info)

Le Sénat a adopté le 19 mai la proposition de loi sur le développement des sociétés publiques locales (SPL), sans modifier le texte de l’Assemblée (sur le contenu de ce texte, voir notre article du 24 mars 2010). Ainsi, les deux chambres étant en accord, le texte devrait être promulgué au Journal officiel dans les prochains jours. Aucun décret d’application n’est nécessaire, mais Alain Marleix, le secrétaire d’Etat à l’Intérieur et aux Collectivités territoriales, a indiqué que ses services préparaient une "circulaire de précision", et que des "ajustements seront peut être nécessaires dès les premiers retours d’expérience". Notamment sur les interventions de ces sociétés sur le logement social ?

Les SPL en bref

Dès la promulgation de la loi au Journal officiel, des collectivités territoriales pourront donc se rassembler pour constituer des sociétés anonymes, dont elles détiendront 100% du capital. Le principal intérêt de ce nouveau statut est de permettre aux collectivités territoriales (ou à leurs groupements) au capital de la SPL de la charger de réaliser pour elles toute activité d’intérêt général, sans être contraint de procéder à une mise en concurrence.
Mais attention, pour bénéficier de cet avantage dit du "in house" (et accessoirement éviter un contentieux pour non respect de la réglementation des marchés publics), il y a plusieurs conditions à respecter : premièrement, les interventions de ces sociétés doivent être effectuées uniquement sur le territoire et pour le compte des collectivités actionnaires. Deuxièmement, les collectivités actionnaires doivent exercer sur les services de la SPL "un contrôle analogue" à celui qu’elles exercent sur leurs propres services. Le personnel de la SPL sera soit de droit privé, soit de droit public (en détachement ou disponibilité). Le texte de loi modifie également le statut des SPLA (sociétés publiques locales d’aménagement) créées en 2006, en leur donnant davantage de prérogatives en matière de droit de préemption et d’expropriation.

Gauche et droite unanimes sur un texte que le Medef juge inconstitutionnel

Ce vote, à l’unanimité des deux chambres, est clairement un succès pour la fédération des entreprises publiques locales (EPL, ancienne fédération des SEM). Jean-Léonce Dupont, vice-président du Sénat et de la fédération des EPL s’est ainsi réjouit de l’adoption de ce texte qui offre aux collectivités "un nouveau mode d’intervention, des sociétés anonymes à capital public à la fois modernes, performantes et solidaires". Mais le Medef ne partage pas cet enthousiasme parlementaire : "Ces sociétés publiques locales pourront échapper à tout appel d’offres et ne seront pas concernées par la législation sur les marchés publics. C’est une atteinte grave à la liberté du commerce et de l’entreprise (…) Nous considérons qu’il y a une atteinte à la Constitution de notre pays et, si le Parlement ne revient pas en arrière, nous porterons ce dossier assez loin sur le plan juridique. Il y a une détermination farouche de notre part sur cette question", a indiqué Laurence Parisot. Ces critiques s’expliquent par le fait que ce seront les SPL et non plus des grandes entreprises privées qui coordonneront le travail de plus petites entreprises.

Et le logement social ?

Mais, au-delà du Medef, il y a une sérieuse note discordante dans le concert de louange en faveur de ce nouvel outil juridique : les deux sénateurs spécialistes des politiques logement, Thierry Repentin pour le PS et Dominique Braye pour l’UMP ont très nettement critiqué au cours du débat sénatorial l’intervention de ces futures sociétés anonymes sur le champ du logement social : les deux sénateurs ont présenté le même amendement pour que les SPL soient contraintes de respecter les mêmes règles que tous les opérateurs HLM. Jacques Mezard, rapporteur de la commission des lois (radicaux de gauche), a assuré que "les SPL n’ont accès ni aux subventions de l’Etat ni aux prêts de la CDC pour la construction de logements sociaux (…). Si dans l’avenir, on souhaite que les SPL puissent construire des logements sociaux, il faudra modifier le texte". Mais Dominique Braye n’est pas convaincu : "Si demain les SPL faisaient des recours pour obtenir des PLAI, elles en obtiendraient immédiatement le droit. La directive Service s’appliquera ! L’Etat serait ainsi condamné à ouvrir de tels financements aux SPL." Quant à Thierry Repentin, il a signalé que Benoist Apparu lui "disait hier qu’il était perplexe face à cette loi". Les deux sénateurs ont finalement retiré leurs amendements, mais il serait fort étonnant qu’on n’entende pas à nouveau parler dans les prochains mois de cette question de l’intervention des SPL sur le champ du logement social.

Hélène Lemesle

Aller plus loin sur le web

* Le site de la Fédération des EPL

http://www.lesepl.fr
* Dossier parlementaire de la proposition de loi sur le développement des sociétés publiques locales

**voir
Lettre aux PCG sur les SSIG