L’Euro dans la tourmente signe notre échec commun

, par  Marie-Odile NOVELLI , popularité : 0%

Longtemps nous avons voulu minimiser les risques d’une union sans moyens de régulation, sans Union économique, budgétaire et fiscale. Comme si les économies des seize pays de la zone euro allaient magiquement converger les unes vers les autres.

L’Euro, dans la tourmente, signe notre échec commun.

Longtemps nous avons voulu minimiser les risques d’une union sans moyens de régulation, sans Union économique, budgétaire et fiscale, et occulter les effets d’un grand écart, fondé sur un quant à soi lâche, pudiquement rebaptisé "convergence".

Comme si les économies des seize pays de la zone euro, toutes différentes, historiquement, structurellement, allaient magiquement converger les unes vers les autres pour créer un grand marché unique !
Oui mais voilà, "En lieu et place d’une union économique et monétaire, les pays de la zone euro ont vécu à échelle réduite une mondialisation sans frein " estime Mediapart (voir plus loin)
Ce sont donc les économies les moins solides, exposées sans protection à une monnaie trop forte et à une absence de politique monétaire adéquate, qui ont trinqué. . .
La BCE n’a eu que pour seule ligne d’action la lutte contre l’inflation, au risque de rajouter du chômage. La lutte contre la hausse des salaire et des prix .
Par contre, elle continue à financer sans problème un système financier d’actifs toxiques, et endetté !. Ce qu’elle ne peut pas financer, ce sont les Etats…Cherchez l’erreur.
Tandis que le chômage croissait, la création monétaire a été galopante, démultipliée par les effets de leviers sur l’immobilier, sur les matières premières, les high tech

Comment la zone euro s’est retrouvée face à l’abîme (Mediapart)


Et l’impensable devient imaginable. La multiplication des dénégations des principaux responsables européens donne la mesure du péril.
Avec la même vigueur qu’ils affirmaient, il y a moins de quinze jours, que l’Irlande n’avait pas besoin de la moindre aide de l’Europe et du FMI, les mêmes répètent en boucle que l’euro n’est pas en danger. Dans les coulisses pourtant, l’Union européenne et la Banque centrale européenne (BCE) s’activent autour d’un possible plan de sauvegarde au Portugal, dans l’espoir d’éteindre un incendie qui s’étend chaque jour davantage. 
Les marchés sont de nouveau sur le mode panique. Vendredi 26 novembre, les taux irlandais ont dépassé les 9,2%, ceux du Portugal sont désormais à plus de 7%. En un mot, ces deux pays sont sortis des marchés, les taux exigés étant tout simplement insoutenables. La dette espagnole prend le même chemin. Les taux sur les obligations à dix ans sont désormais supérieurs à 5%. En huit jours, ils ont augmenté de plus de 1%. Dans le même temps, l’euro plonge face aux autres monnaies à une vitesse vertigineuse. Le 2 novembre, la monnaie européenne était à 1,42 dollar. Aujourd’hui, à 1,32. Le système interbancaire est à nouveau sur alarme, les banques se soupçonnant les unes les autres d’être dans des positions difficiles refusent de se prêter.




La vitesse à laquelle se propage la contagion semble prendre tout le monde de court. En dépit des espoirs des responsables européens qui s’accrochent comme ils le peuvent à leur doctrine, une aide massive au Portugal risque d’être d’avoir les mêmes effets que le plan de sauvetage irlandais : donner de nouveaux arguments pour continuer le jeu de dominos, la spéculation s’employant à faire effondrer les pièces les unes derrière les autres, à un rythme de plus en plus effréné. Tandis que le gouvernement portugais tente de résister à l’arrivée du FMI chez lui, les marchés se sont déjà saisis du cas espagnol, les deux économies étant intrinsèquement liées. Vendredi matin, le premier ministre espagnol, José-Luis Zapatero, est intervenu pour exclure « absolument » tout sauvetage financier. Des déclarations qui sont plus de nature à effrayer qu’à calmer le jeu. Depuis six mois, les responsables politiques sont systématiquement pris à contre-pied. La mise en jeu de la quatrième économie européenne a quelque chose de terrorisant. Le fonds européen de stabilité financière, doté de 750 milliards d’euros, est déjà sollicité par l’Irlande à hauteur d’une centaine de milliards. Si le Portugal accepte une aide, il faudra lui apporter au moins une centaine de milliards, à nouveau. Mais pour sauver l’Espagne, les sommes qui devraient être mobilisées seraient sans commune mesure. Les chiffres de 300 à 400 milliards d’euros sont évoqués. Autant dire que les réserves du fonds de stabilité financière seraient vite épuisées. Qu’arriverait-il si l’Italie suivait l’Espagne, car il n’y a pas de raison que la contagion s’arrête ?

Pour tenter de court-circuiter la spéculation, Axel Weber, président de la Bundesbank et membre éminent de la BCE, est allé jusqu’à rompre avec son orthodoxie stricte. Mercredi 24 novembre, il annonçait publiquement que « naturellement, la garantie européenne sera étendue en cas de nécessité ». Des sommes étaient même évoquées : le fonds pourrait être porté à 1.200 ou 1.500 milliards d’euros. Il a été démenti, dès le lendemain, par Angela Merkel. La chancelière allemande a exclu publiquement toute augmentation du fonds de stabilité financière, celui-ci étant, selon elle, largement suffisant. De manière officielle, Berlin signifiait son refus à un projet concocté par Bruxelles pour augmenter les garanties européennes. 
Sur le principe, les réticences allemandes sont compréhensibles. Le fonds de stabilité financière, qui devait servir comme arme de dissuasion, se révèle être un couteau sans lame face à la spéculation. Rajouter des dettes aux dettes – car les fonds prêtés aux pays sont directement empruntés sur les marchés par les différents pays de la zone euro – risque d’entraîner l’ensemble des économies européennes par le fond. D’autres mesures s’imposent, rompant avec la doctrine. Mais il faut clairement dire lesquelles et fixer les règles.

Or, rien de tel pour l’instant. Face au mutisme de tous les autres dirigeants européens – le silence de la France dans cette crise à cet égard étonnant –, la chancelière allemande s’est érigée en chef politique de la zone euro. Mais ses interventions sont plus destinées à son électorat qu’à l’ensemble de l’Europe. Surtout, comme pour faire oublier ses hésitations au printemps lors de la crise grecque, qui coûtent aujourd’hui si cher à l’Europe, Angela Merkel multiplie les déclarations à tort et à travers, alimentant la colère de ses partenaires.
L’Allemagne, gagnante de la monnaie unique

Ce spectacle confondant de la zizanie européenne vient confirmer les doutes d’un monde financier qui n’a jamais été europhile. La peur d’un éclatement de l’Europe hante les esprits. Et la finance n’a pas son pareil pour faire des prédictions auto-réalisatrices : la crainte du pire provoque le pire.

L’Europe se retrouve totalement démunie pour casser cet engrenage fatal. Aujourd’hui, elle paie ses erreurs originelles, ses fausses routes idéologiques, ses lâchetés politiques. Petit tour (non exhaustif) de l’enchaînement de la crise.

Une monnaie unique sans union

Avant même la création de l’euro, de nombreux économistes avaient tiré la sonnette d’alarme : il ne pouvait y avoir d’union monétaire sans union budgétaire et fiscale, expliquèrent-ils.
Les responsables des pays candidats à l’euro refusant les uns et les autres d’abandonner une partie de leur souveraineté et de partager leurs richesses, ils décidèrent de passer outre l’avertissement. Pour balayer les critiques et les préventions, on bâtit l’idée de la convergence. Par l’effet d’une monnaie commune, les
économies des seize pays de la zone euro, en dépit de structures et de développement différents, allaient converger les unes vers les autres pour créer un grand marché unique. Parvenu au stade ultime de rapprochement, l’harmonisation fiscale et budgétaire pourrait être réalisée sans heurt.
Dix ans après, la fausseté de cette vision s’étale en pleine lumière. Loin de converger, les économies de la zone euro ont divergé de plus en plus. Car en lieu et place d’une union économique et monétaire, les pays de la zone euro ont vécu à échelle réduite une mondialisation sans frein. Chaque pays s’est retrouvé en concurrence avec tous les autres, avec la même monnaie, sans aucune protection. Asphyxiées par une politique monétaire inadaptée et une monnaie trop forte, les économies les plus fragiles – « les pays du Club Med » comme dit l’Allemagne – mais aussi dans une moindre mesure l’Italie et la France n’ont cessé de perdre en dynamisme et en compétitivité. La désindustrialisation a été massive. Un chômage structurel élevé et permanent s’est installé. Ces chutes économiques ont été parfois masquées par les artifices d’une financiarisation débridée, et de l’endettement privé autant que public.

Il suffit de regarder les balances commerciales pour connaître le bilan de ces dix ans d’union monétaire : l’Allemagne a été la grande gagnante. En 2009, elle affichait des excédents commerciaux avec tous les autres pays de la zone euro. En cinq ans, la France a quasiment quadruplé son déficit commercial avec son principal partenaire économique. Il atteignait 23 milliards d’euros l’an dernier. La politique mercantiliste de Berlin a aggravé les tensions du système. Ce sont ces forces divergentes qui sont le soubassement de la crise d’aujourd’hui. 


Une banque centrale sans bras

L’Union européenne se remettra-t-elle de cette faute originelle ? Si la Banque centrale européenne avait été dotée des prérogatives normalement accordées à toute institution monétaire et avait été prêteur en dernier ressort, la crise des dettes souveraines aujourd’hui n’existerait pas. La spéculation contre tel ou tel pays pourrait se déchaîner, elle serait sans force : la BCE aurait pu, quoi qu’il arrive, voler au secours de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal, et les financer, en achetant leurs dettes primaires sur les marchés.

Par idéologie, par aveuglement, les créateurs de l’euro ont interdit cette voie : il ne fallait pas laisser aux Etats, forcément dispendieux et immatures selon le dogme, la possibilité de jouer avec la planche à billets. Les banques, les marchés, ajoutaient-ils, seraient les meilleurs garants de la stabilité et de la vigueur de la monnaie, jouant les chiens de garde face aux pays qui ne respecteraient pas la règle. La politique a abdiqué devant les marchés, laissant le destin de 500 millions de personnes aux mains des banques.

L’occasion ratée de 2008

L’ensemble des Européens peut apprécier depuis dix ans le poids de cette folie dogmatique. Tout au long des années 2000, la BCE n’a eu que pour seule ligne d’action la lutte contre l’inflation. La hausse des prix et surtout des salaires, voilà l’ennemi. Que la croissance de la zone euro stagne, qu’un chômage élevé persiste, que les pays de la zone euro s’appauvrissent, cela n’était pas son problème. Pendant ce temps, le système financier, débarrassé de toute régulation, s’en est donné à cœur joie. La création monétaire a été galopante, démultipliée par les effets de leviers. Une inflation persistante des actifs s’est installée, se manifestant par des bulles successives sur les entreprises high tech, sur l’immobilier, sur les matières premières, sans que la BCE s’inquiète outre mesure.

Depuis l’écroulement de Lehman Brothers, la situation est encore plus caricaturale. La BCE finance à tout-va un système financier perclus de dettes et d’actifs toxiques mais ne peut toujours pas financer un Etat, ou de manière indirecte. Elle prête à 1% de l’argent à des banques en acceptant en garantie des produits plus ou moins toxiques. En retour, les établissements bancaires achètent des obligations d’Etat à 5%, 6% ou 10%, en les prenant du bout des doigts parce qu’elles les jugent trop risquées. Les différences de marge sont naturellement pour les banques.

Par mesure exceptionnelle, au plus fort de la crise grecque, la Banque centrale a fait quelques entorses à ses statuts, et a acheté directement des obligations d’Etat sur le marché secondaire, dans l’espoir de faire tomber la spéculation. Ces achats ont été insuffisants pour la combattre. Mais les critiques se sont déchaînées : le laxisme monétaire était à nos portes. Aujourd’hui, les responsables monétaires et politiques se demandent quelle arme ils pourraient utiliser pour tenter d’enrayer la crise galopante de l’euro. S’ils s’en tiennent au strict respect des statuts, ils connaissent la réponse : ils ont les mains vides.

L’occasion ratée de 2008

La faute n’en incombe pas qu’à l’Europe. L’Amérique de Barack Obama est aussi grandement responsable. Après la chute de Lehman Brothers, ni les Etats-Unis ni l’Union européenne n’ont saisi l’occasion pour réimposer des lois aux marchés financiers. Il y eut certes des belles paroles, des engagements définis. « L’autorégulation pour régler tous les problèmes, c’est fini. Le laisser-faire, c’est fini. Le marché tout-puissant qui a toujours raison, c’est fini », promettait Nicolas Sarkozy dans son discours de Toulon en septembre 2008. Le G20 ajouta à la liste les paradis fiscaux, les bonus, les agences de notation, les produits dérivés, et les hedge funds.
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Deux ans plus tard, il ne s’est rien passé. Les banquiers de Wall Street, Goldman Sachs en tête, ont écrit le plan de sauvetage du système bancaire américain à leur main. Les finances publiques ont été largement sollicitées pour socialiser les pertes, selon la règle du capitalisme actuel. Les régulations qu’a voulu imposer le président américain sur les conseils de l’ancien président de la Fed, Paul Volcker, ont systématiquement été écartées par un Congrès dominé par les lobbies financiers. La peur étant passée, la partie a pu recommencer comme avant.
OPA des banques sur les finances publiques

L’Europe n’a pas été plus brillante. Elle aussi a écrit son plane sauvegarde sous la dictée de ses banquiers. Le chantage au financement de l’économie, au risque systémique a fonctionné à plein : les banques ont fait une OPA sur les finances publiques des pays européens. Pas un moment, un responsable européen ne s’est demandé s’il
ne fallait pas saisir l’occasion pour changer les règles en Europe. Au contraire, il n’a été question que de compétition internationale, d’attentions à porter pour ne pas briser nos champions bancaires. Les bonus ont été encadrés mais pour une année. Une nouvelle taxation a été créée en contrepartie des risques garantis par les Etats mais elle a été réduite au minimum (moins de 300 millions en France). Une nouvelle régulation bancaire, censée renforcer les normes prudentielles, a été adoptée mais elle n’entrera en vigueur qu’en 2017. Quant aux méga-banques, celles qui représentent un risque systémique pour le système financier, il n’a même pas été question d’encadrer ou de réglementer leurs activités, en contrepartie des garanties octroyées par les Etats. L’Europe, pourtant, ne manque pas de ces groupes jugés hors contrôle : ils s’appellent Deutsche Bank, Santander, BNP Paribas ou Barclays.

Poussant la sollicitude encore plus loin, les régulateurs européens et la BCE ont accepté de laisser depuis deux ans les banques établir leur bilan en balayant les références comptables au profit de leurs propres critères. Les banques seules savent les risques et les produits toxiques qu’elles portent dans leur livre. Le comble a été atteint lors des tests de résistance pratiqués en juillet. Les banques ont fixé les règles. Hasard ! A l’exception de six, toutes ont passé haut la main les épreuves. Dans le lot, il y avait les trois principales banques irlandaises. Dès août, la plus endettée d’entre elles, Anglo-Irish Bank, s’effondrait. Aujourd’hui, tout le système bancaire irlandais est à terre. N’ayant pas peur du ridicule, les régulateurs annoncent une nouvelle série de tests de résistance en février, afin de rassurer les marchés.

Les erreurs de la crise grecque

Les prémisses de la crise actuelle ont été posées lors du sauvetage de la Grèce. En dehors des hésitations de l’Allemagne, qui ont illustré le peu de cohésion de la zone euro, ce sont les diagnostics et les remèdes qui ont été choisis à l’époque qui viennent nourrir l’incertitude des marchés, tant la voie choisie leur paraît insoutenable.

Le constat d’abord. Dès le début, l’analyse de la crise grecque s’est focalisée sur la faute politique. Des économistes ont bien essayé d’attirer l’attention sur les dysfonctionnements de la zone euro, l’affaiblissement continu des économies périphériques, l’appauvrissement systématique des Etats au profit d’intérêts privés. Toute chose inaudible pour les responsables européens : leur modèle ne pouvait être en cause. Pour eux, le problème était simple : la crise grecque était due à la tricherie des gouvernements successifs sur leurs comptes, à leur laxisme budgétaire, à leur inefficacité économique, au coulage de leur système social. L’endettement de la sphère privée n’était pas un sujet digne d’attention. Les déficits publics étaient la cause de tout. Une remise en ordre drastique s’imposait. Autant au nom de la morale que de l’orthodoxie financière, la Grèce devait payer ses erreurs.

Les remèdes qui lui ont été imposés ont été calqués sur ceux du FMI, canal historique. Athènes s’est vu enjoindre de ramener son déficit public de 13,7% du PIB en 2009 à 3% en 2014. Réduction des salaires, coupes claires dans la fonction publique et les budgets sociaux, annulation des investissements publics, augmentation de la fiscalité directe et indirecte, toutes les recettes si chères au libéralisme ont été décrétées. Mais habituellement, les mesures dictées par le FMI sont toujours accompagnées d’une dévaluation monétaire et/ ou d’une restructuration de la dette, afin de redonner une compétitivité immédiate à l’économie et alléger la dette. Sinon, le pays risque de s’enfoncer dans la spirale de l’endettement et de la déflation.

La Grèce, quant à elle, n’a eu droit à aucun aménagement de sa peine. Appartenant à la zone euro, toute dévaluation était impossible. Mais d’emblée, la voie d’un rééchelonnement ou d’une restructuration de sa dette lui a été aussi fermée. « Il n’est pas question qu’un pays de la zone euro fasse défaut », a déclaré Jean-Claude Trichet, le président de la BCE, au printemps. Une fois encore, l’intérêt des banques a été privilégié au détriment de l’économie. De nombreux économistes sont intervenus, en disant que le sort imposé à la Grèce était insoutenable et même non souhaitable (voir le Manifeste des économistes atterrés). Aucun pays ne pouvait réduire rapidement ses dépenses publiques, sauf à faire plonger l’économie dans la déflation. La baisse de l’activité entraînerait une baisse des ressources fiscales, finirait par un endettement croissant, impossible à supporter.

L’Union européenne a refusé d’entendre les mises en garde. Mieux, la norme d’un déficit public de 3% du PIB en 2013 est devenu l’impératif catégorique de tous les pays de la zone euro. Il fallait donner confiance aux marchés, ont expliqué les responsables politiques. Il fallait en finir avec le laxisme des déficits publics, oubliant qu’une grande partie de ceux-ci ont leur origine dans les plans de relance et de sauvetage des banques lancés en 2008. Les Européens sont donc appelés à payer l’addition de la crise financière, avec l’austérité et la régression sociale pour seul horizon.

Six mois après le début du plan d’austérité, l’économie grecque s’enfonce, comme l’avaient prédit des économistes. En dépit de toutes les coupes budgétaires, le gouvernement n’arrive pas à tenir ses prévisions de réduction budgétaires car les rentrées fiscales sont inférieures à ce qui était attendu. L’économie est en dépression, le chômage est déjà à 18%. La Grèce, qui se voit prêter de l’argent par l’Union monétaire et le FMI au taux de 6% – ce qui est loin d’être un cadeau – est en train de sombrer sous le poids de sa dette. Les seules charges d’intérêt représentent déjà 10% du PIB.

Au tout libéral

L’entêtement doctrinal

L’embarras qui a saisi les gouvernements européens sur le cas de l’Irlande est compréhensible. Impossible là d’invoquer les comptes faux de l’Etat, la gestion anarchique de l’économie, comme dans le cas de la Grèce. L’Irlande était l’élève modèle de la gestion libérale, vantée par Bruxelles. Les économistes ne manquaient pas de montrer en exemple ce petit pays, qui, en moins de deux décennies, avait réussi à quitter la pauvreté pour devenir le deuxième pays le plus riche de l’Europe par habitant. La règle à suivre était simple : la dérégulation sociale et économique était la clé du succès. Considéré comme un des principaux artisans de ce succès en tant que ministre des finances de 1997 à 2004, Charlie McCreevy avait table ouverte à Bruxelles. Il fut nommé commissaire au marché unique et aux services, chargé à ce titre de la régulation financière, jusqu’en février 2010.

Brusquement, les thuriféraires du modèle irlandais se sont tus : le spectacle offert sur les arrière-cuisines de l’économie irlandaise, il est vrai, est sans appel. La croissance stupéfiante du pays n’était qu’artifices. Les institutions bancaires, irlandaises mais aussi européennes, ont été laissées sans contrôle. Des milliers de fonds spéculatifs – notamment certains de Bernard Madoff – sont venus s’abriter dans ces terres irlandaises si accueillantes pour la finance, si peu regardantes sur leur activité, et encore moins exigeantes sur la fiscalité. Des centaines de milliards ont été investis dans des projets immobiliers locaux pharaoniques, encouragés par le gouvernement. Grâce à son dumping fiscal, l’Irlande, assuraient ses responsables politiques, ne pouvait qu’attirer les multinationales, cherchant à la fois l’optimisation fiscale et une porte d’entrée garantie sur le marché européen. L’Europe a laissé faire, a fermé les yeux sur tous les détournements des règles communes, n’a même pas cherché à contrôler l’utilisation des aides qu’elle a consenties pendant des années. La BCE n’a jamais posé un œil sur la spéculation immobilière effrénée qui sévissait à Dublin. Il ne fallait pas déranger le premier de la clas
se.
La faillite du système financier irlandais pris au piège de ses turpitudes, son sauvetage par les finances publiques, n’ont pas soulevé la moindre question. Au contraire, c’est avec admiration que les responsables européens ont accueilli le nouveau plan de l’Irlande : dans l’austérité, l’île reste le modèle du néo-libéralisme. Suppression de 25.000 emplois dans la fonction publique, réduction de 10% des dépenses sociales, réduction du salaire minimum : toutes les recettes y sont. Et, à Bruxelles, certains ne doutent pas que les mesures irlandaises deviennent le mètre étalon pour le reste de l’Europe.

L’enchaînement a été parfait : le système financier a réussi à faire prendre en charge une grande partie de ses pertes par les Etats. Combien de temps la supercherie va-t-elle encore durer ? La montée des protestations sociales partout en Europe commence à inquiéter le monde financier : il ne s’attendait pas à une telle résistance, y compris en Grande-Bretagne.

Les plus avisés rejoignent aussi les économistes critiques : le chemin de l’austérité et de la déflation sociale choisi par l’Europe leur paraît insoutenable. Soit des pays vont quitter l’euro, soit l’économie de certains va exploser sous le poids de la dette et de la déflation. Un réaménagement ordonné leur paraît préférable. Anticipant une restructuration inévitable, les banques préparent le terrain – et c’est un des objets de la bagarre autour de l’euro –, elles veulent obtenir l’assurance qu’elles ne seront pas mises à contribution. Goldman Sachs a déjà sorti un scénario à cet effet, proposant la création d’un mini-FMI européen, qui serait le garant en dernier ressort de toutes les dettes des pays. Les économistes de JP Morgan proposent eux qu’un transfert conséquent des dettes des pays attaqués – Grèce, Irlande, Portugal – soit organisé vers les pays les plus solides de l’Union. En un mot, les banquiers sont en train d’imaginer tous les schémas possibles pour socialiser les pertes et ne surtout pas avoir à payer une partie des pertes dont les banques sont responsables. C’est la notion du risque et de l’esprit d’entreprise dans le capitalisme actuel : des prêts à taux élevés mais avec toutes les garanties étatiques.

On en est là du débat. Les responsables européens sauront-ils enfin trouver une réponse qui ne serait pas uniquement destinée au marché ? Sont-ils prêts à renoncer à leurs dogmes, qui les ont amenés à préférer les intérêts privés à l’intérêt général et ont conduit l’Europe dans l’impasse ? Il est difficile de rattraper tant d’erreurs en si peu de temps. L’Europe ne progresse que sous la contrainte, ne cessent de rappeler les experts européens. Certes. Mais cette fois, il est minuit moins cinq.

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